« En serais-je capable ? Libre.»
Stebbins Melvin
MANU RIOS - POUFSOUFFLE - SEPTIÈME ANNÉE
Bonjour. Oui je m'adresse à vous. Vous qui êtes ici maintenant. Et vous n'êtes pas n'importe où. Vous êtes dans ma maison, dans ma prison, dans ma propre cellule qui m'était destinée. Ces murs bleus clairs, ternis par l'âge et le temps, ressemblants plus à du gris délavé qu'au beau bleu qu'ils devaient avoir à leur création. Il n'y a rien ici, absolument rien, si ce n'est moi. Cette pièce que vous pouvez admirer d'où vous êtes est l'endroit où j'habite depuis déjà quelques mois, mais si vous, vous avez la possibilité de l'admirer, si n'est pas parce que vous êtes assis à côté de moi, ni car vous êtes debout accrochés aux barreaux de la seule fenêtre présente, ou que vous êtes derrière cette porte en métal qui m'enferme. Non ce n'est pas pour cela. Vous pouvez loucher sur chaque détail de cette magnifique architecture car vous êtes dans ma tête, à l'intérieur de mon esprit, me tenant compagnie, enfin plutôt, nous tenant compagnie. Vous pouvez le voir n'est-ce pas ? Je ne suis pas fou, il y a quelqu'un d'autre avec nous. Quelqu'un d'autre habite à l'intérieur de mon cerveau. Il est là, je le sais, je le sens, je lui parle, je ressens sa présence, et surtout, nous partageons tout. Mais laissez moi vous raconter mon histoire, que vous compreniez pour quelle raison je suis enfermé et pourquoi il est ici.
Je me nomme Melvin Stebbins et j'aurais pu avoir une vie normale et banale, je l'aurais voulu d'ailleurs. C'est un jour de neige que je vis le jour. Le 13 décembre de l'année 1979 pour être exact. Mes parents, Amarande et Axel Stebbins, furent allés à l'hôpital d'une petite ville de l'état de l'Ohio huit mois et cinq jours après une partie de jambes en l'air qui avait dû être fructueuse, et ce fut le lendemain de leur arrivée que je sortis ma petite tête de nourrisson du ventre de ma tendre mère. Vous l'auriez donc compris, je suis un enfant né avec presque un mois d'avance. Etais-je trop pressé d'affronter ce monde rempli d'ordures ? Je n'en sais rien. Dans tous les cas, j'étais dehors, dans les bras d'une infirmière qui me tenait par les aisselles, nu, permettant à tout le monde présent dans cette chambre d'hôpital de pouvoir admirer mon sublime postérieur. Cri poussé et sein tété, je faisais mon entrée dans la vie. J'ai par la suite eu une enfance des plus convenables, j'avais une maison, des jouets pour m'amuser comme bon me semblait, de la nourriture et de l'eau, des parents m'aimant comme le plus précieux des trésors, et par dessus tout, un frère, Elliot, de deux ans plus âgé que moi. Nous étions heureux. Et je dis bien « étions ». Car un terrible incident surgit dans notre douce vie, un incident qui n'était que le début de la fin qui nous attendait à grands pas. Alors que mon dixième anniversaire avait été célébré comme il se devait quelques jours plus tôt, ma famille et moi-même partions en voyage pour New York. Visiter des monuments qui, à l'époque, n'intéressaient gère mon aîné et l'enfant que j'étais, était le programme principal de ces vacances. Nos parents avaient l'intention d'augmenter notre savoir et notre culture afin de ne pas être des idiots finis ignorants tout de l'histoire de notre pays et de pouvoir impressionner le monde autour de nous. Que de bonnes intentions me diriez-vous. Et vous avez raison de le penser, car c'était bel et bien le cas. Nous partions donc, le 17 décembre 1990, afin de pouvoir apprendre tout ce que nous avions à intégrer dans nos petits esprits encore purs. Le premier monument que nous étions allés voir fut la statut de la Liberté. Un édifice magnifique en soi, et une vue tout à fait sublime. Des yeux de cette femme nous pouvions observer toute la beauté de l'océan, les vagues s'entremêlant, la danse qu'accomplissaient les oiseaux et la lumière du soleil donnant cet éclat unique à cette eau. Un spectacle parfait et inoubliable. Je ressens encore la brise effleurer mon visage et me rappelle le sourire que cela m'avait procuré. Une fois que la visite fut terminée et que les images étaient encore fraîches dans nos esprits. Toute la petite tribu des Stebbins prit la direction de la prochaine destination, tous excepté mon père qui était entre de discuter avec un inconnu, inconnu que je n'oublierai jamais. Il revint ensuite, le sourire aux lèvres et heureux.
- Ma petite famille, je vous annonce que je viens de nous trouver une nouvelle sortie pour ce soir !
- Axel, j'espère que tu ne nous emmènes pas boire de l'alcool hein ! Les enfants sont encore trop jeunes ! Lui répondit ma mère en riant, mais avec un fond de sérieux dans sa voix.
- Ne t'inquiète pas Amarande ! Ce n'est pas du tout ça ! Je viens de parler avec un homme du nom d'Antoine Klekell, et il m'a informé qu'il existe une visite de l'Upper East Side pour presque rien ! Et avec un dîner au restaurant gratuit en prime ! Ma chère femme, mes enfants adorés, ce soir, nous mangerons comme de prestigieux invités ! Nous devons tout simplement nous rendre à cette adresse à 19h26 précises et le tour est joué !
Il nous montra alors l'adresse écrite sur un bout de papier.
Tout ceci paraissait un peu trop beau pour y croire, mais mon père y croyait, naïf comme il était. Mais ne nous risquions rien après tout, mes parents avaient leurs baguettes auquel cas quelque chose de grave se produise. 19H26 tapantes, nous étions tous les quatre au lieu de rendez-vous indiqué. Il s'agissait d'une grande bâtisse, inspirant confiance, des murs en briques rouges, une grande porte en bois, un beau jardin bien entretenu avec des arbres et un banc. Le tout donnait une impression très coquette des individus y habitant. De plus, d'autres personnes étaient avec nous, pour la plupart des jeunes couples, comme quoi, il s'agissait de quelque chose de très sérieux. Malheureusement, il ne fallait pas se fier aux premières apparences. Des hommes arrivèrent, de tous les côtés possibles, une bonne centaine, et là commença l'Enfer. Ils nous attachèrent tous avec des cordes aux niveaux des poignets, mes parents n'eurent même pas le temps de sortir leurs armes pour nous permettre de partir. Je paniquais. Je n'étais qu'un simple enfant de dix ans, je ne connaissais rien de la vie et très peu sur la magie ; je ne pouvais donc rien faire pour nous aider. Ce qui me fit perdre tout espoir fut de voir le regard de mes parents, qui n'avaient aucune idée de comment nous sortir de cette situation des plus désespérées. Puis ils commencèrent à crier, l'un sur l'autre, comme si ils avaient la ferme intention d'empirer la situation.
- AXEL MAIS QU'AS-TU FAIS ?
- JE N'AI RIEN FAIT CHÉRIE ! JE NE SAVAIS PAS CE QUI ALLAIT ARRIVER !
- ENCORE HEUREUX QUE TU NE SAVAIS PAS ! POURQUOI AS-TU CRU CE TYPE ? C'ÉTAIT ÉVIDENT QU'IL S'AGISSAIT D'UNE FAUSSE VISITE !
- TU AVAIS QU'A NOUS EMPÊCHER DE VENIR SI TU EN ÉTAIS SI SÛRE !
- LA FERME J'AI DIT ! Hurla une voix que je ne connaissais pas.
Un homme masqué venait d'arriver pour essayer de calmer mes parents qui devenaient tout bonnement fous. Il frappa mon père à l'abdomen, ce qui le mit à terre et fit taire ma mère. Elle posa ensuite son regard sur Elliot et moi, avec un air d'abandon sur son visage. Ses pupilles reflétaient une affreuse tristesse et une larme coula même sur son visage.
- Mes enfants... Votre père et moi vous aim..
L'homme qui avait mit mon géniteur à terre mit un sac en toile sur la tête de ma mère, ce qui l'empêcha de finir ses mots. Mon frère et moi en connaissions parfaitement la fin, mais nous avions besoin de les entendre, comme si c'était la dernière fois qu'il était possible pour nous de pouvoir avoir ce doux son dans nos oreilles. Puis des larmes coulèrent abondamment de mes yeux, comme si je venais de comprendre tout ce qui était en train de se passer. Je voulais qu'elle me prenne dans ses bras, je voulais qu'elle m'embrasse sur la joue, qu'elle me parle une dernière fois, je voulais juste un câlin de ma maman, un dernier. Je voyais sa silhouette floue partir, et je ne le voulais pas. Je me mis alors à courir pour la rattraper, et un cri de total désespoir sortit de ma bouche, de mon cœur, de tout mon être. Un cri plein d'inquiétude, de tristesse, mais surtout d'amour.
- MAMAAAAAAAAANNNN !
Et je ne vis plus rien. Un objet étant sur mon crâne, sûrement le même que sur mes parents. Je crus même être étranglé tellement la personne me l'ayant mis l'avait fait avec violence. Par la suite, quelqu'un me porta, et me posa, allongé par terre. Je ne voyais certes rien, mais je sentais d'autres personnes, ne serait-ce que par le mélange d'odeurs qui arrivait à mon nez. Un bruit sourd se fit entendre par la suite et le sol se mit à trembler sous moi. Je devais surement être dans un camion. Mais pourquoi ? Comment ? Je ne comprenais tout simplement rien de ce qui était en train de m'arriver. Finalement, je finis par m'endormir, recroquevillé sur moi-même, pleurant ma famille perdue, et le cœur brisé, laissant un trou énorme en moi.
Je me suis réveillé alors que l'on me déplaçait, mon corps suivant le rythme des pas de la personne qui me portait à la manière d'un vieux sac de pommes de terre. Et je fus ensuite mis debout et quelqu'un m'ôta ce qui me cachait la vue. Je fus tout d'abord éblouis par la lumière, ce qui ne me permis pas de distinguer grand chose autour de moi, je voulus mettre mes mains aux niveau de mes yeux pour voir où j'étais à présent, mais les cordes attachées à mes poignets me rappelèrent que c'était impossible et surtout, que j'étais toujours captif. Peu à peu, l'environnement qui m'entourait apparut, ou devrais-je dire, la pièce dans laquelle j'étais. Un endroit tout bonnement luxueux, des ordures dorées, du marbre au sol et sur l'imposante cheminée, des murs s'étendant sur des mètres de hauteur et de longueur, d'immenses fenêtres et enfin, en face de moi, deux personnes assises sur des fauteuils plus grands que moi du haut de mes dix ans. C'était un homme et une femme, positionnés exactement de la même manière : jambes croisées, bras sur les accoudoirs de leurs sièges, la tête haute et surtout, ce regard haineux que je ne pourrai jamais oublier. Un deuxième enfant fit son entrée, plus grand que moi, et on lui enleva son sac de la tête. C'était Elliot. En le voyant à mes côtés, je ne voulais qu'une chose, un de ses très rares câlins, mais c'était une nouvelle fois impossible. Des larmes se mirent donc à ruisseler sur mes joues, des larmes de joie, de soulagement, mais également d'inquiétude. A l'écoute de mes sanglots, un homme derrière nous que je n'avais vu me mit un coup à la tête de la paume de sa main. Mon frère le regarda alors plein de haine et le chargea avec son épaule. Un autre arriva et contint mon aîné en attrapant ses bras, et celui qui m'avait frappé donna une énorme gifle à Elliot. Je ne pouvais rien dire ni faire, j'avais beaucoup trop peur, et je crois bien qu'il le ressentit, car malgré le fait d'avoir été frappé, mon plus proche allié me fit un sourire afin de me rassurer, ce qui marcha, pour le peu que ça valait. Mes sanglots s'arrêtèrent et ce fut dès ce moment que celui qui était assis prit la parole, insensible.
- Bien bien bien. Nous y voilà. Vous êtes-vous calmés ?
En guise de réponse, il n'eut qu'un simple signe de tête pour ma part, et une fois la tête relevée, un regard haineux de la part d'Elliot.
- Je prendrai ceci pour un grand oui. Mes chers enfants, laissez moi me présenter. Je suis Monsieur Quirke Caleb. Et ce que vous devez savoir est la chose suivante : A présent, vous appartenez à ma personne, ainsi qu'à ma sublimissime femme, présente à mes côtés.
- Après ces mots, mon regard emplit de larmes se tourna vers mon frère, qui lui, voyait tout bonnement rouge. Ce n'était plus de la haine, mais le pire des sentiments que l'on pouvait éprouver, celui du désir de tuer. Déjà impulsif d'ordinaire, le fait de dire une telle chose l'avait mit dans un état de transe, sa tête était à présent baissée et tout son corps tremblait.
- Ne réagissez pas ainsi voyons. Vous n'étiez pas destinés à m'appartenir. Si vous avez été enlevés, c'était à la base pour servir d'esclaves à notre empire. Or, pour vous préserver de cette tâche bien trop difficile physiquement parlant, nous avons décidé, avec mon épouse, de faire de vous nos serviteurs personnels.
A la fin de sa phrase, Monsieur Quirke ria, et mon frère tremblait de plus en plus. Mon regard faisait des vas et viens entre ces deux personnes, l'un remplit d'une fureur qui menaçait d'exploser à tout moment et l'autre riant diaboliquement.
- Mes chers enfants, nous vous avons sauvés voyons ! Plutôt que de pleurer, remerciez nous !
Et il n'en fallut pas plus. Elliot mit un énorme coup de pied à celui qui le tenait et fonça sur Monsieur Quirke en hurlant à plein poumons. Ce dernier cessa subitement de rire en voyant un enfant de douze ans se jeter sur lui, cependant, il ne paniqua pas, au contraire même, il se mit à sourire. Puis claqua des doigts et deux hommes vinrent capturer mon frère et l'emmenèrent loin de moi. Mes yeux se fermèrent quand il fut parti pour que des larmes fassent une fois encore une cascade sur mon visage. Puis des talons se firent entendre dans la pièce, le bruit se rapprochant de moi. J'avais peur, j'étais effrayé même, au point d'être paralysé. Le bruit cessa et une main caressa ma joue, suivit d'une voix douce, ressemblant à celle de ma mère.
- Ne t'inquiète pas mon chou. Tout va bien se passer. Comment t'appelles-tu ?
- Mel... Melvin, répondis-je en reniflant.
- Très bien Melvin, ce garçon est bien ton frère n'est-ce pas ?
- Ma seule réponse fut un signe de tête, acquiesçant.
- D'accord. Tu le reverras très vite, je te le promets. Tu as des parents ?
- Un nouveau signe de tête.
- Et comment s'appellent-ils ?
- Amarande et Alex Stebbins, dis-je en gardant la tête basse.
- Parfait. Tu vas pouvoir les voir bientôt, je t'en fais la promesse.
Et cette promesse fut exécutée le soir même, lorsque Elliot revint, blessé de partout, de l'endroit où il était. Il n'a jamais voulu me dire ce qu'il lui était arrivé, sûrement pour me protéger. La rencontre avec nos parents ne fut pas ce que j'avais espéré. Ils étaient dans une cellule, j'ai pu sentir la main de ma mère serrant la mienne, entendre une nouvelle fois ses « je t'aime » et retenir son visage dans ma mémoire. Je ne voulais que pleurer, mais j'essayais d'être fort pour mes parents, car, j'avais beau ne pas savoir ce qui les attendait, cela devait sûrement être bien pire que notre sort. Après quelques minutes, Madame Quirke prit la parole pour nous dire qu'il était temps de partir, et que c'était la dernière fois que nous avions eu l'occasion de les voir. Je n'en pouvais plus. Mes larmes sortirent une nouvelle fois, laissant couler le peu de liquide que mon corps pouvait encore produire. Cette femme qui m'avait promis que tout allait bien se passer, qui m'avait rassuré, qui m'avait parlé d'une voix tellement douce, d'une voix maternelle, m'enlevait à présent plus de la moitié de tout ce qu'il me restait. Je n'avais que dix ans et on venait de m'annoncer que je n'allais plus jamais voir mes parents, comment ne pas pleurer ? C'était impossible. Je m'attendais à ce que mon frère réagisse de manière violente, comme à son habitude, mais ce ne fut pas le cas, il baissa juste les yeux, me prit par la main et me fit partir, alors que je continuais de regarder nos parents et de les voir pleurer également. Pourquoi avait-il fait ça ? Et pourquoi mes parents avaient-ils laissé cela se produire, sans même essayer de se rebeller ? Je ne comprenais rien de ce qu'il était en train de se passer. Mais je savais bien une chose, Madame Quirke m'avait privé de ma famille, et je me mis dès lors à la haïr du plus profond de mon être.
Cinq années passèrent. Cinq années où Elliot et moi avons servi Monsieur et Madame Quirke. Cinq années où nous n'avions eu qu'un repas tous les deux jours. « Tout va bien se passer » hein ? Des mensonges. Rien ne s'était bien passé. Mon frère se rebellait presque tous les jours, et revenait chaque fois plus amoché. Des marques de mutilations sur tout le corps, des bleus de partout, je ne sais même pas comment il faisait pour tenir encore debout. Il était fort. Bien plus fort que moi. Il était comme je voulais être. Courageux, intrépide, insouciant, puissant. J'étais âgé de quinze ans et je portais la même tenue que mon premier jour au service des Quirke : Un débardeur et un short en tissu. Voilà ce qu'avait été mes seuls vêtements pendant ces dernières années. Pas de chaussettes, ni de caleçon, et encore moins de chaussures. Nous faisions tout simplement tout pour eux. Le ménage, les repas, les lessives, le repassage. Nous avions toutes les interdictions possibles et imaginables, et la plus grande, celle qu'il ne fallait enfreindre sous aucun prétexte et que même Elliot n'avait osé désobéir était de sortir de la bâtisse pour aller voir nos parents. Cependant, après toutes ces années, je n'avais qu'une envie : Les voir une nouvelle fois. Je voulais savoir si ils allaient bien, comment ils se sentaient, et surtout, qu'ils sachent que nous étions toujours en vie. Un soir, alors que nous étions sur le point de dormir, j'allais parler de mon envie à mon aîné, mais ce dernier parla avant que j'en ai l'occasion pour me dire exactement la même chose que j'avais en tête. Nous sommes donc partis en direction de la cellule de nos géniteurs. Il faisait noir et froid. Notre costume de serviteur n'était pas adapté à ce type de température, nos mains commencèrent à devenir violettes et notre corps à trembler, mais nous ne pouvions pas abandonner. Nous avions débuté par vérifier la cellule la plus proche, ils n'y étaient pas. Une autre suivit, et une troisième, et une quatrième, et cela jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'une seule prison à l'étage le plus bas. Cela devait forcément être celle-ci. Nous ne pouvions pas aller voir les autres, il y avait trop de risques de se faire prendre et d'avoir la pire des punitions. Au moment d'approcher, j'entendis une voix roque crier.
- ILS SONT LA !
Puis d'un seul coup, sans que nous ayons la possibilité de bouger, nous étions capturés. Les hommes nous emmenèrent dans la première pièce que nous avions vu, cinq ans plus tôt, avec nos maîtres exactement à la même place, dans la même position. Nous avons tous deux été mis à genoux, les mains liées, maintenus par des gardes dans cette position. Monsieur Quirke se leva et s'adressa à Elliot en lui disant de s'approcher. Il obtempéra après m'avoir fait un clin d'œil et un sourire qu'il avait l'habitude de faire dans ce genre de situation. Arrivé à environ une cinquantaine de centimètres de Monsieur Quirke, ce dernier l'attrapa par les mains, le tourna vers moi et vint coller sa bouche à l'oreille de mon frère.
- Je ne veux aucune explication, esclave. Tu n'es qu'un déchet qui perturbe mon autorité au sein de mon empire. Alors maintenant regarde l'autre à genoux et dit lui ce que tu ressens.
Elliot me regarda d'un air protecteur et me fit à nouveau l'un de ses sourires.
- Mon petit frère, n'oublie pas. Sois libre.
A ce dernier mot, je vis une épée venir transpercer le thorax de mon modèle. Cela ne pouvait pas être possible. Pas lui. Il était tout ce qu'il me restait. Cette famille m'avait enlevé toute la mienne. Je n'avais plus personne. J'avais perdu chaque personne à qui je tenais. Mon cœur lâcha. Mon âme partit. Mon corps n'était plus qu'un amas de chair et d'os. Je ne pus même pas pleurer. Je m'effondrai au sol. Le regard dans le vide. J'étais comme déconnecté de la réalité. Elliot n'était plus là. Elliot était parti. Elliot était mort. Un garde prit mon corps et l'emporta dans le lieu qu'avait précisé Monsieur Quirke. La cellule la plus haute de l'empire. J'y ai donc passé quatre mois. Quatre mois dans une pièce vide. Quatre mois avec un repas tous les cinq jours. Je ne ressemblais plus à rien. J'étais dévasté. C'est quelques jours après avoir était enfermé que je fus ramené à la réalité. Mes larmes ne purent s'arrêter de couler pendant plusieurs jours. La seule personne qui avait été là pour moi pendant ma servitude avait été assassinée. Je ne faisais que ressasser ce drame en boucle dans ma tête. Je parlais tout seul, gesticulais tout seul, mais par dessus tout, j'imaginais ma vengeance. Comment torturer cet homme et cette femme qui avaient dérobé ma vie entière, qui avaient fait du joyeux enfant de dix ce qu'il était. Mais je ne pouvais rien faire. J'étais coincé. Il n'y avait plus qu'à attendre. Mais étais-je vraiment capable de tuer quelqu'un de mes propres mains ? Même après toutes ses horreurs ? Je l'espérais.
Puis un jour, l'impensable arriva. Alors que je commençais à perdre espoir, j'entendis de ma cellule une jeune femme crier. Son prénom n'avait pas d'importance pour moi, même si il s'agissait de la fille des Quirke. Son discours en revanche avait de l'importance. « Vous serez libres dès ce soir.». Libre ? Libre ? Libre. « Sois libre.» Libre. Libre. Libre. Ce mot ne faisait que raisonner dans mon esprit. Libre. Ma vengeance allait donc se faire ? Libre. En serais-je capable ? Libre. Est-ce que... LIBRE. Ma tête me faisait affreusement mal, comme si quelque chose voulait en sortir. Une force que je ne reconnaissais pas. Quelque chose que je n'avais jamais ressenti auparavant. Ce mot. Ce simple mot se répétait sans cesse sans que je puisse l'arrêter. Mes mains se posèrent sur mon crâne et je ne faisais que de les serrer autant que je le pouvais. De toute mes forces je serrais. Je ne voulais qu'une seule chose : Que cela s'arrête. Ma tête avait mal. Mes mains avaient mal. Mon esprit avait mal. Mon corps criait sa douleur. J'hurlai un grand coup, en même temps que les acclamations des esclaves de la cour. Et ce fut durant cet hurlement que je l'entendis. Que j'entendis cette voix. Cette voix à la fois rassurante et profondément mauvaise.
- Laisse moi prendre le contrôle Melvin.
Et mes bras tombèrent. Ma tête lâcha. J'étais assis par terre, je savais que j'étais assis mais je ne pouvais pas bouger. Et cette voix retentit à nouveau en moi. Ou alors je l'entendis. Je ne comprenais pas. Que m'arrivait-il ? Comment était-ce possible ? Je n'étais pas fou. Je ne pouvais pas l'être. Un sourire vicieux apparut alors sur mon visage, sans que mon cerveau ne le commande, et un rire sortit de ma bouche sans que je le veuille.
- Ahah. Enfin. J'attendais ça depuis si longtemps Melvin. Depuis si longtemps. J'ai enfin le contrôle de ton corps.
- Mais... Qu'est-ce qu'il se passe au juste ?
Ma question ne sortit pas par des mots. Ce n'était qu'une pensée. J'étais à l'intérieur de moi-même, de mon corps. Mais je ne le contrôlais pas. Quelqu'un d'autre le faisait, mais qui ? Comment cela avait-il bien pu arriver ? Après tout ce que j'avais vécu, il en fallait encore plus ? Mais quand est-ce que cela allait s'arrêter ? Pourquoi devais-je supporter tout ça ? Pourquoi moi ? Alors que mes questions s'affolaient dans mon esprit, mes lèvres se mirent à bouger.
- Tu ne comprends donc toujours pas n'est-ce pas ?
- Quoi ?
- Qui je suis. Tu n'as pas l'air de le comprendre. Je vais donc t'expliquer. La réponse est simple pourtant. Tellement simple. Ahah. Melvin. Mon pauvre Melvin. Je suis toi. Nous sommes la même personne.
- Mais... Comment est-ce possible ?
- Trop de questions Melvin. Tu nous donnes mal à la tête. Ce n'est pas compliqué. Arrête de trop réfléchir. Je suis apparu lorsque Elliot a été tué sous tes yeux. Ne me demande pas pourquoi parce que je sais pas. En tout cas je suis là. Nous nous partageons le même corps. Jusqu'à présent tu en avais le contrôle, mais maintenant, je l'ai. Et je vais faire ce que tu n'auras sûrement jamais le cran de faire. Je vais nous venger. Pour l'instant je ne veux que ça. Une fois vengeance faite, je te laisserai le contrôle. Mais pour en avoir le contrôle le plus total, tu dois l'accepter. Tu dois accepter le fait que nous sommes deux, afin de n'être plus qu'un. Accepte le Melvin.
- Je... Non !
- Tu veux être débarrasser de ce fardeau non ? Tu veux une pause dans ta pauvre vie dont tu ne cesse de te plaindre ? Voyons Melvin, je t'offre cette possibilité sur un plateau d'argent, tu as juste à dire les mots magiques.
- ... Je... Je l'accepte.
- Ah ? Déjà ? Plus facile que ce que je pensais.
- ...
Mon esprit fusionna alors avec... Mon autre esprit ? Eh bien oui. Je les sentis se réunir en moi. Mon âme n'était plus la même, mon esprit plus différent ainsi que ma façon de penser et de voir les choses. Je n'étais plus cet enfant traumatisé. J'étais tout simplement différent. Une autre version de moi-même. Dans cet état, je ne ressentais plus aucune peur, plus aucune crainte, plus aucune souffrance, plus aucun sentiment. Je n'avais que l'envie de me venger, l'envie de voir le sang couler de mes mains et de me délecter de ce plaisir infini qu'était de voir souffrir une autre personne sous mes yeux. J'étais donc assis dans ma cellule, attendant impatiemment d'être libre. Et ce fut le cas. Comme promis, une jeune femme vint me libérer et partit l'instant d'après. Je me levai lentement, laissant mon corps profiter de ce bien fait fou qu'est la liberté. Je suis ensuite sorti de ma cellule, regardant toujours droit devant moi, admirant les détails de l'architecture de l'édifice, regardant tout le monde autour de moi se dépêcher pour commettre le meurtre qui m'était destiné. Tous, autant les uns que les autres, avaient beau se plaindre autant qu'ils le voulaient sur les supplices que Monsieur Quirke leurs avait subir, ils ne représentaient rien comparé à ce que j'avais vécu. Un homme s'approcha de moi pour me demander une information que je n'ai pas retenu, je le regardai par la suite, un sourire naquit sur mon visage et mon poing alla frapper son visage à pleine puissance. Ce dernier se retrouva à terre et je repartis dans ma direction. Arrivant à l'intérieur du manoir, ma première destination fut la cuisine. A quoi bon partir pour commettre un assassinat si l'on est pas armé pour après tout ? Mon choix se dirigea vers le couteau le plus aiguisé et le plus gros qu'il y avait. Objet en main, je partis vers la pièce où la foule criait à pleine voix, laissant délicatement mon couteau raser les murs de sa lame au rythme de mes pas, coupant le fin papier peint qui ornait es derniers. L'ultime couloir avant la pièce visée était déjà rempli des divers esclaves, les 1353 autres personnes étaient peut-être ici, après tout, l'endroit était immense. Je me frayai un passage à travers le monde, égratignant sûrement au passage quelques personnes de ma lame, mais cela ne m'importait pas. La seule importance était ma cible, ainsi que sa mort. Arrivant à présent à son niveau, je poussai la personne qui était déjà en train de la frapper. Pauvre homme, il était déjà bien amoché. Voyant mon couteau et mon regard, la foule avait arrêté de crier dans tous les sens. Mon ancien maître était au sol, la respiration haletante et le visage en sang. Je m'accroupis ensuite pour qu'il puisse m'entendre lui chuchoter à l'oreille mes mots.
- Mon cher maître. Que ressentez à présent ? Chut. Ce n'est pas la peine de répondre car cela n'a aucune importance. Maintenant, je vais vous dire ce qu'il va se passer. Je vais prendre le couteau avec lequel j'ai préparé bon nombre de vos plats et je vais vous l'enfoncer doucement dans votre poitrine jusqu'à ce qu'il frôle votre petit cœur, et ensuite... Et ensuite vous savez ce qu'il va se passer, Monsieur Quirke ? Le savez-vous ? Ahahaha. Oh oui je suis sûr que vous le savez n'est-ce pas ? Eh bien ensuite je vous le planterai délicatement de ce cœur de pierre afin que vous puissiez sentir chacun des millimètres de cette fine lame. N'est-ce pas un beau programme ? Hein Monsieur, appréciez-vous ce que j'ai prévu pour vous ? Peu importe d'ailleurs car cela va arriver, et maintenant.
Mon arme s'enfonça donc dans la cage thoracique de cet être immonde. Je savourais chaque morceau de chair coupé, chaque parcelle que je sentais céder. Mais ce qui me faisait tout bonnement jouir intérieurement était son expression. Cette expression de terreur et de douleur que j'avais eu temps de fois sur mon visage et où lui me riait au nez. La roue tourne très cher, la roue tourne toujours. Et il s'agissait de mon moment. Le meilleur arriva, ce moment où ma lame entra avec la plus grande des douceurs dans son organe le plus vital. Il essaya de me retenir, enfin de me supplier d'arrêter plutôt, en m'attrapant mon bras libre. Quel dernier effort vain. Alors que je voyais la vie le quitter dans son regard, je plaçai mon visage en face de ses pupilles, afin qu'il puisse voir chacun des traits de mon visage.
- Voyez-vous, Monsieur Quirke, je veux que la dernière personne que vous ayez vu de votre vivant soit moi. Votre serviteur personnel, votre « cher enfant », votre assassin. Moi. Melvin Stebbins.
Sa respiration s'arrêta. Mort. Je retirai mon couteau de son cœur immobile et essuya le sang présent sur mon bras. Couteau propre et meurtre accompli, je me suis levé afin d'annoncer à tout le monde la mort de leur persécuteur. Mais soudain, mon esprit se déconnecta l'espace de quelques secondes. Je ne me souvenais plus de rien, ni de comment j'étais arrivé ici, ni ce qu'attendait toutes ces personnes devant moi, ni comment j'étais sorti de ma cellule. Puis un souvenir me revint : « Une fois vengeance faite, je te laisserai le contrôle.». Cela voudrait donc dire que... Mon regard se dirigea vers mes mains, je vis donc mon bras en sang et le couteau dans l'une de mes mains. Je cherchai le cadavre de Monsieur Quirke, qui devait sûrement gisait non loin, et en effet, il était à mes pieds. Mais qu'avais-je fait ? Comment avais-je pu oser me mettre au même niveau qu'une personne aussi horrible que lui ? Comment ? Je le savais déjà très bien. Je ne devais plus jamais perdre le contrôle de mon corps. Par honte, je suis donc parti en courant de cette pièce me rappelant mon pêché et me perdis dans les couloirs que je connaissais pourtant par cœur. Et ce fut à ce moment là que je vis, par terre, un document qui allait changer ma vie pour toujours : Ma lettre d'admission à l'école de sorcellerie de Poudlard. Mon entrée se fut sans grand problème malgré mon manque de savoir en compétences magiques, mais Dumbledore devait bien évidemment savoir pourquoi. J'entrai en sixième année et fus intégré dans la maison de Poufsouffle, ironique en soi étant donné l'emplacement de la salle commune. Après tout, j'avais peut-être certaines des qualités requises pour y être. Je ne sais pas. En tout cas, cela me convenait très bien. Ici, personne ne connaissait mon passé, et je priai pour que cela reste ainsi.
​