« Consumed by Chaos.»
Rosier Némésis
BRIDGET SATTERLEE - SERPENTARD - SEPTIÈME ANNÉE
Ivresse d’enfance. Trop peu de souvenirs de cette partie de ta vie. Elle est passée bien trop vite. Bien trop courte. Seules quelques brides restent ancrées dans ta mémoire. Un sourire par-ci. Un geste tendre par-là. Les rêves écrasés d’une petite fille. Les chamailleries du grand frère. L’absence du père. L’amour inconditionnel de la mère. La vie parfaite de princesse. Ô, Némésis. Tu avais tout. Tout ce qu’une enfant pouvait espérer. Tu t’en souviens encore. Tu t’accroches à ses souvenirs d’enfance, dernière perle nacrée, dernières traces de joie dans ton avenir. Tu n’oublies pas ces moments-là. Ils ont bel et bien existé. Ces moments dans ton jardin au château de Kimbolton. Un doux parfum de printemps. Les arbres relâchant leur pollen, créant ainsi un brouillard presque étouffant. Tu te vois, enfant, tentant de courir après ton frère, Arès. Il est plus grand, il est plus fort. Il est tellement plus que toi. Il a cette chose en plus. Ces choses même. D’abord, c’est l’aîné. C’est le grand frère, c’est le futur chef de famille. Et ensuite, c’est l’homme. Le mâle. L’héritier. Tes parents auraient pu s’arrêter là. Tu aurais pu ne jamais voir le jour. Pourtant il leur fallait une fille. Pour lier des liens avec d’autres familles aussi pures que la tienne. Pour engendrer à ton tour des petits sangs purs. C’est tout ce à quoi tu es utile. Et ils te le font bien assez comprendre. Arès l’a très bien compris lui. Il a déjà l’air arrogant des chefs de famille. Il a cinq ans de plus que toi. Il est en haut et, encore une fois, tu es en dessous. Mais pour l’heure, tu t’en fiches. Tu es enfant. Tu n’es qu’insouciance et rêverie. Tu passes devant un arbre. Un très grand arbre, au milieu d’une très grande cours. Du coin de l’œil, tu vois quelqu’un, assis sur une chaise, à l’ombre de l’arbre. Tu vois une belle femme. Une très belle femme. La seule qui compte à tes yeux. Ta mère. Elle a les mêmes traits raffinés que toi. Les mêmes longs cheveux. Tu la trouves si belle. Si forte. Elle regarde le monde comme si elle le contrôlait du bout de ses fins doigts. Elle te regarde comme si elle te contrôlait ainsi. Car c’est ainsi qu’est ta mère. Elle contrôle tout. Tout sur ce domaine bien entendu. Car, derrière elle se cache une ombre qui contrôle encore plus qu’elle. Cette même ombre que tu peux apercevoir en levant un peu les yeux. « Maman, où est papa ? » Ô, Némésis. Pourquoi poses-tu cette question ? Tu connais déjà la réponse. Occupé. Tout ce que tu sais, c’est qu’il s’agit d’un fantôme parcourant les mêmes couloirs que toi, la même maison, avec le même sang. Hormis cela, tu ne sais absolument rien de cet homme. Voilà ta famille. Un frère élevé dans les principes des Rosier, une mère présente pour un père absent.
Âme sœur. Elle était ton âme sœur. Pas de cette façon dont les amoureux s’appellent, non. Elle était toi, dans un autre corps. Elle te complétait et te ressemblait en tout point. Elle compensait tes faiblesses, tu la remplissais de force. Elle avait la même âme que toi. Comme si vous ne faisiez qu’une. Physiquement, vous ne vous ressemblez pas. Et pourtant. Dès que l’on vous voit ensemble, il y a cette infime ressemblance. Tu sais qu’Athéna Selwyn est ton âme sœur. Elle aussi faisait partie des Grande Gens. De ces sangs purs. Tout comme toi. Une chose est sûre, elle te ressemble plus que ta propre famille. C’est avec elle que tu as grandie. Apparemment, vos mères étaient de grandes amies et vos pères sont cousins. Pourtant, il y avait toutes ces petites différences qui vous suivaient. Tu étais la tête brûlée, celle qui ne pouvait pas rester en place. Athéna était la douce. C’était vous deux contre tous. Dès que l’on parlait de l’une d’entre vous, l’autre était forcément quelque part, pas très loin. Inséparable. Vous avez tous fait ensemble. On vous a élevé ensemble. On vous a inculqué les valeurs de vos parents. Car tous sangs purs ont les mêmes idéaux, même si chaque famille ne sert que leur propre intérêt. Tu as été la première à te rebeller. Du moins, à en montrer les signes. Tu ne sais pas comment tout cela a commencé. Mais, tu savais une chose : tu n’étais pas comme tes parents. Tu étais tellement… Différente de leur monde de bienséance et de fausse gentillesse. Tu n’avais pas leur aversion du moins bien. Non, tout t’intéressait. On disait que tu avais le tempérament de feu d’une future matriarche. On disait que tu tenais ça de ta grand-mère. Voilà bien trop longtemps que ta mère est cachée derrière l’ombre silencieuse de ton père. Tu avais cette force de caractère, digne des Rosier. Athéna avait la douceur de sa mère, et la tranquillité des Selwyn. Deux caractères si différents. Tu remettais tout en question. Au début, on mettait ça sur le compte d’une grande curiosité. Avec le temps et l’âge, on commençait à avoir des doutes. Surtout tes parents. Trop de questions, trop de gêne sans doute. Pas assez de réponses pour toi. On vous pointe du doigt. On murmure à votre passage. Ces petites filles sont bien trop différentes. Tu savais que tu n’étais pas seule, et cela te donnait du courage pour affronter tes parents. Affronter le regard lourd de reproche de ton frère, aux regards las de ta mère et ceux absent de ton père. Alors, avec Athéna, vous vous êtes forgé ce monde qui n’est rien qu’à vous. Et toi aussi, tu t’es créé cette barrière. Cette façade. Celle de la gamine qui s’en fichait de tout. De la dure à cuire. De la gamine pourrie gâtée qui obtient tout ce qu’elle veut. Celle qui attire l’attention en faisant des bêtises. Au moins, quelques fois, on détournait les yeux d’Arès pour les poser sur toi, même si ce n’est que pour de vilaines paroles. Tu as appris à les oublier. À les encaisser avec un sourire sarcastique. Mais toujours la tête haute. Tu aurais pu passer pour une vraie sang pure. Ce côté légèrement hautain, narcissique, sûre de toi. Mais tu étais la mauvaise sang pure. Celle qui écrase de son regard les autres. La fin de ton enfance n’a été qu’un jeu de rôle. Tu jouais la vilaine fille indigne. Tu te délectais de la réaction de tes parents. Tu jubilais devant les regards des autres. Tu te fissurais aussitôt qu’Athéna était là. Elle seule te connaissait...
Tu entends vaguement des brides de paroles. Ils viennent d’en bas. Du parc, très certainement. Tu peux facilement discerner un groupe d’élève. Ils ont l’air de rire. Suffisamment fort pour que tu les entendes distinctement. Sinon, tu entends quelques voix, noyée dans le vacarme du vent chaud et des oiseaux. Tes yeux sont plongés dans le bleu infini du ciel. Pas un nuage. Pas une tache dans cette toile de bleu limpide. En fermant les yeux, tu peux stopper le vacarme de l’après-midi. Tu peux ne plus rien entendre. Sauf ton cœur. Ton petit cœur qui bat tranquillement, doucement, sereinement. Et entre chaque battement, tu en entends un autre. Mais celui-là est plus rapide. Il est plus fort aussi. Et celui-là appartient à cet être à côté de toi. Tu n’as pas besoin d’ouvrir les yeux pour sentir son odeur. Tu n’as pas besoin d’ouvrir les yeux pour reconnaitre le toucher de sa peau contre la tienne. Pour reconnaitre la moindre parcelle de chair de son corps. La moindre fibre de son être. Tu n’as pas besoin de le regarder pour savoir qu’Oryon aussi a les yeux fermés. C’est plus simple de ne penser à rien. Ou alors qu’à vous. Qu’à toi. Qu’au présent. Et à rien d’autre. De ne penser qu’à sa présence maintenant. Pas à son départ de tout à l’heure. Ni à son absence demain. Es-tu vraiment la princesse de glace, la sang purs insoumise sans peur ni attache ? Est-il réellement ce beau né-moldus, rêveur et attentionné qui ne rêve que d’aventure ? Comment tout ceci a-t-il pu commencer ? Ô Némésis. Ne te mens pas. Tu t’es enlisé dans une relation mortelle. Tu le sais. Et c’est cela qui t’a plu au premier abord. Cette sensation de franchir l’interdit. Cette adrénaline qui montait et montait toujours plus dans tes veines. Tu le sentais venir. Ce moment où tes parents décideront pour toi de ta vie. Tu ne le veux pas. Et tu voudrais le crier à qui veut l’entendre que tu es libre. Mais ton cri est sourd. Oui, au début, tu fréquentais Oryon seulement pour faire jaser. Pour que cela arrive aux oreilles de tes parents. Ça n’a pas raté. Leur réaction a été immédiate. Indigne. Traitresse. Tu ne voulais pas que cela aille aussi loin. Tu ne voulais pas. Tu t’es perdue dans tes vils jeux et dans tes ruses absurdes. Oryon, avec cet air quelque peu rêveur, avec ses yeux innocents. Il est ton contraire tout entier. Lui n’est que simplicité. Toi, tu es bien trop compliquée. Au début, ce n’était que pour jouer. Avec tes parents, avec lui, avec toi, avec la vie. Tout simplement. Un jeu. Un simple jeu. Mais le jeu a pris trop d’ampleur, trop vite. Et tu t’es noyée dans ses yeux, dans sa fraîcheur et dans sa simplicité. Simple garçon d’enseignant moldus, il n’était rien à tes yeux. Un être parmi tant d’autres. Tu le voulais. Seule Athéna était au courant. De cette relation. Devant les autres, vous faites attention. Comme si vous ne vous connaissez pas. Mais combien de fois as-tu eu envie de le dire à tout le monde. De briser les chaînes que vous vous êtes créées.
« Crois-tu que cela sera possible ? ». Énigmatique. Les gens sont des livres ouverts. Il suffit d’un peu d’observation et de beaucoup d’audace pour cela. Oryon est un mystère pour toi. Et tu ne sais pas si tu as envie de le résoudre. Tu veux laisser le suspens durer le plus longtemps possible. « Qu’est-ce qui est possible ? » « De s’enfuir. Loin d’ici. Juste tous les deux ? ». Tu ouvres les yeux. Non. Pas encore. Pas cette conversation. Pas ces mots. Pas ça. Tout sauf ça. Le bleu du ciel se semble bien moins lumineux tout d’un coup. Tu remarques à quelques endroits de fins brouillards de nuages, presque transparents. « Tu connais la réponse. » Tu entends un soupir. Voilà quelques mois qu’Oryon ne parle que de cela. S’enfuir. Partir loin d’ici. Depuis le retour du Seigneur des Ténèbres, il a peur. Et il te fait peur. Il parle de partir, toi et lui, comme deux amants maudits. Au fond, tu t’imagines assez facilement vivre parmi les moldus. Tu le faisais bien avant. Vous vous échappiez de chez vous, pour parcourir le monde moldus de vos grands yeux ébahis. Mais là, c’est différent. Quelque chose à changer. Tu ne veux plus partir. Tu ne veux pas y aller. Non, c’est ton monde. Tu dois te battre. C’est ce que tu as toujours fait quand quelque chose ne te convenait pas. Tu n’aimes pas la conduite dictée par tes parents ? Tu ne leur as jamais obéi. Tu voulais apprendre à te battre ? Tu as rejoint l’AD. Et pourtant. Partir ? Où ? Quand ? Comment ? Toutes ces questions que tu voudrais lui poser, mais qui n’arrivent à franchir le seuil de tes lèvres. « On pourrait pourtant. Si tu le voulais réellement, on pourrait Némésis. » C’est à ce moment-là que tu sens cette chose se briser au fond de toi. Depuis peu, tu ne sais plus rien. Tu ne sais plus ce que tu veux. Tu es perdue. Perdue dans tes sentiments. Mais surtout, perdue dans ton monde que tu croyais si parfait.
Serrer les poings. Serrer la mâchoire. Ne pas laisser apparaître de sentiment. Garder le visage impénétrable. Que se passe-t-il ? Pourquoi te crie-t-elle dessus ainsi ? Trop de questions. Encore une fois. Pour la première fois de ta vie, tu ne comprends pas Athéna. Pour la première fois, vous vous disputez. Parce que tout compte fait, tu comptes peut-être t’enfuir toi aussi. Car Dumbledore est mort. La porte est grande ouverte aux ténèbres. Le cataclysme est déjà là. Alors oui, tu veux t’enfuir. Mais pas seule. Avec Oryon ? Peut-être. Avec Athénaïs ? Sans elle, tu n’iras nulle part. Votre promesse. Vous vous l’êtes promis après tout. Peut-être a-t-elle juste oublié ? « Némé, tu ne peux pas faire ça… » « Et pourquoi pas ? Qu’est-ce qui nous empêche de le faire ? Qu’est-ce qui nous retient ici ? » Absolument rien. Tu pries pour qu’elle réponde de cette façon. Mais tu sais qu’elle ne va pas répondre cela. Athéna a changé d’une certaine façon. « Ce qui nous retient ici ? Absolument tout. C’est notre monde ici Némésis. C’est notre monde qui s’écroule tout autour de nous. C’est nos maisons, nos vies qui sont en danger. Ailleurs ou ici, quelle différence ? » « La différence Athéna, c’est qu’ici, nous ne sommes rien. Si on reste, c’est notre vie qu’on met en jeu. Et puis, qu’est-ce qu’on va faire ici ? Je te rappelle qu’on est leurs ennemies... » Ennemie. Encore une fois, c’est toutes les deux contre les autres, contre le monde. Vous vous êtes battu à peu près toute votre vie contre eux. Contre leurs idéaux extrémistes. Pour vos propres idéaux. L’Armée de Dumbledore, Oryon, toutes ces années à tenir tête à tes parents, c’était pour montrer que tu ne plieras pas les genoux à ce moment-là. Et Athéna a fait tout autant que toi. Pourtant, à ce moment-là, tu la sens fléchir. Elle baisse les yeux. Elle hésite. Tu le vois. Et puis, un murmure… « On n'a pas à être ainsi, Némésis… » Quelques mots qui résument une pensée qui te hante. Celle qui t’éloigne d’Athéna. Car c’est trop tard, elle est déjà loin. « Que veux-tu dire ? » Tu dois en être sûre. « Qu’on est peut-être sur le point de faire la plus grosse erreur de notre vie. Qu’on devrait arrêter avant que ce soit trop tard. » « Arrêter quoi ? » Tu ne veux pas l’entendre et pourtant, tu le dois. « Arrêter tout, Némésis. Pars si tu veux. Mais moi, je ne viens pas. ». Et la seule chose à quoi tu penses, c’est qu’elle a trahi la promesse. Tu ne le sais pas encore, mais ces simples mots signent votre séparation...